SANCTUAIRES

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Stéphanes Gilles, artiste arpenteur… Voilà maintenant plus de quinze ans que Stéphane Gilles s’adonne à une recherche-création sur les origines de l’île, de l’océan Indien et plus largement du monde. Empruntant aussi bien à la géologie, l’archéologie, l’anatomie et la géographie, il emboîte le pas à Jules Hermann en proposant une cosmogonie de La Réunion, assimilée à un corps vivant qui garde les traces de sa propre genèse. Dans la droite ligne des travaux de l’ancien notaire de Saint-Pierre (notamment les Révélations du Grand Océan dont une réédition est impatiemment attendue), le plasticien formule des hypothèses sur la formation du territoire de l’île, et partant de là, de l’univers tout entier, en s’appuyant sur une démarche d’observation minutieuse de la nature et d’une construction poétique qui fait de lui un authentique bâtisseur de mythe. L’épicentre géographique (et métaphysique) de son travail se situe dans les hautes plaines du sud de l’île au relief volcanique, dans le périmètre d’un cratère endormi : le Piton Tortue. En marche vers le centre de cet ancien volcan, il est guidé à travers la végétation très dense par les gardiens, qui le reconnaissent et le laissent entrer. Il arpente inlassablement ce territoire mystérieux, en dehors des sentiers balisés, où convergent les traces d’un monde habité et créé par l’Homme-qui-Vole et l’Homme-qui-Marche, la Tortue-qui-Vole et l’Oiseau-qui-Marche, personnages mythiques qui peuplent l’envers de l’île, « civilisation silencieuse » qui garde un contact discret avec notre contemporaine et bruyante société. Il part à la recherche des traces, les trouve, les répertorie, les photographie. Puis il parle, écrit, témoigne de la respiration de l’île, de sa mémoire, de son passé antédiluvien. Le piton est comme un point de télescopage entre différentes couches de temps : le temps où les hommes ont perdu leurs ailes et se sont mis à marcher, celui de la récréation des marrons, qui venaient sur ce lieu rendre hommage à leurs divinités, le temps présent de l’artiste arpenteur-éclaireur… et révélateur de lieux. Un travail « poético-scientifique », dont rend compte son site Internet intitulé « Piton tortue : centre de l’univers ». Il consiste à répertorier les signes de l’existence d’une « civilisation silencieuse » présente dans l’île, et à en révéler les contours au moyen d’une multitude d’outils d’appréhension du monde : cartes de géographie, témoignages, croquis, photographies, planches anatomiques, pages de livres anciens attestant de l’existence des êtres dont il parle, squelettes d’oiseaux … Une rêverie éveillée où le rejoint Christian Jalma, artiste à l’œuvre protéiforme, qui travaille lui aussi à une cosmogonie de l’île et de son territoire. Patricia de Bollivier
Extrait du texte « Quelle est cette île ? Espaces rêvés et “lieux-communs’’ dans les pratiques plastiques à La Réunion », in « Créations insulaires », Recherches en Esthétique n°20, CEREAP, Martinique, janv. 2015.

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